Chapitre 2: Une nouvelle forme d'organisation: l'Union supranationale

01.03.01

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Traduction: Hélène Lepoivre, Göttingen

13.   A. Avec l’Union européenne et même déjà avec les Communautés européennes dans leur stade le plus avancé, l’intégration européenne a créé un modèle européen d’une nouvelle forme de communauté. L’évolution se subdivise en quatre phases. Il y eu tout d’abord le démarrage par une organisation supranationale spécialisée en vue du contrôle de l’économie du charbon et de l’acier (1952). Dans une deuxième phase, une communauté d’Etats d’Europe occidentale s’est formée, limitée à certains domaines mais bien institutionnalisée, qui se composait de trois organisations supranationales formant une seule unité d’action et d’influence (1958 - 1967). Dans une troisième phase, cette dernière continua à se développer par des approfondissements et élargissements successifs ainsi que par l’affranchissement de la limitation théorique à des domaines économiques particuliers en une organisation d’intégration à vocation générale (1967 - 1987). L’organisation spécialisée [Zweckverband] d’origine devint alors un cadre institutionnel aménageable pour une intégration globale progressive. La quatrième phase (depuis l’entrée en vigueur de l’AUE en 1987) est une phase de consolidation et de développement de cette organisation d’intégration à vocation générale. Son importance n’est pas relativisée par l’existence d’autres organisations européennes ou bien aussi européennes (Conseil de l’Europe, OSCE, EEE). [13]

14.   L’Union européenne est une Union homogène aux fondements institutionnels et juridiques éparpillés. Elle n’est à comprendre ni en tant que simple réunion d’unités autonomes par le droit matériel [materiell-rechtlicher Verbund], ni en tant que groupement unitaire dans lequel fusionnent les Communautés, ni encore en tant que construction par piliers, mais en tant qu’organisation globale cohérente composée de différents acteurs, à savoir d’ensembles d’acteurs (les Communautés et leurs organes) et d’acteurs particuliers (les organes chargés de missions par le traité d’Union). Les Communautés sont des composantes de l’Union, leurs traités constitutifs les éléments d’un ordre juridique homogène. En tant qu’institution globale, l’Union dispose, de même que ses composantes CE, CEEA et CECA d’une personnalité juridique internationale propre. [14]

15.   L’Union européenne est un groupement politique aux caractéristiques particulières, propres à engendrer la formation de nouvelles catégories. La plus importante est sa qualité d’organisation d’intégration supranationale. C’est une union universelle limitée à des partenaires choisis, établie à long terme et à laquelle ses Etats membres reconnaissent, au regard de l’avenir commun projeté, une valeur propre dépassant les missions qui lui sont attribuées. Elle remplit sa fonction d’intégration principalement par la prise en charge de missions d’intérêt public par l’exercice d’une puissance publique supranationale, fait cependant aussi fonction de cadre institutionnel pour une coopération intergouvernementale formalisée et institutionnalisée de ses Etats membres, ainsi que de lieu d’implantation du droit matériel de l’intégration. En tant qu’union politique à vocation générale, elle est ouverte conceptuellement à des missions de toutes sortes issues de tous les domaines politiques. Sa dynamique la distingue non seulement des organisations internationales traditionnelles, mais aussi des Etats. [15]

16.   Par ses caractéristiques particulières, l’Union européenne s’est tant éloignée des organisations supranationales spécialisées traditionnelles, que l’on ne peut lui appliquer les affirmations sur cette forme d’organisation que de façon limitée. Elle est donc à ranger dans une nouvelle catégorie de communauté d’Etats, pour laquelle le concept d’Union supranationale est approprié. Ce dernier se laisse définir de la manière suivante: une Union supranationale est une organisation internationale instituée par plusieurs Etats aux fins d’intégration, vouée à une évolution continue et théoriquement ouverte à des fonctions de toutes sortes, qui remplit sa fonction d’intégration principalement en prenant elle-même en charge, dans une large mesure et par l’exercice d’une puissance publique, des missions d’intérêt public dans les Etats membres. [16]

17.   B.Après avoir constaté que l’Union européenne représente une nouvelle forme d’organisation, le moment est venu de définir sa position et sa nature juridique. L’Union supranationale réunit en elle tous les traits caractéristiques d’une organisation supranationale et d’une confédération d’Etats, tout en les dépassant. Par conséquent, elle est plus qu’une simple organisation internationale ou supranationale, plus qu’une simple confédération d’Etats et plus qu’une simple combination de ces formes d’organisation. [17] Certaines particularités se trouvant dans l’Union européenne laissent déjà penser à une forme particulière de l’Etat fédéral. Toutefois, l’Union supranationale n’est pas un Etat et l’Union européenne ne peut devenir un Etat fédéral sans quitter cette forme d’organisation qu’est l’Union supranationale. Il s’agit ici d’une nouvelle forme d’organisation relevant du droit international public, spécifique et juridiquement à part. [18]

18.   La distinction entre l’Etat et les formes d’organisation non-étatiques est une stipulation préalable du droit international public. Parce qu’il se construit à partir du principe d’Etat territorial, sur le droit des peuples à l’autodétermination et sur le concept juridique de la souveraineté, le droit international public est lié au fait que les entités internationales responsables «naturelles»[«natürliche» völkerrechtliche Zurechnungseinheiten], auxquelles reviennent les positions internationales originaires, à savoir les Etats, se laissent déterminer à tout moment de façon claire. Parmi divers groupements politiques liés entre eux verticalement et de dimensions géographiques différentes (locale, régionale, nationale, géo-régionale, globale), un seul peut prétendre être un Etat. Lui seul bénéficie de la garantie internationale de son existence liée à cette position, de la souveraineté et du contrôle qui en découle sur toute puissance publique influant sur son territoire national. [19] Selon le droit international public contemporain, il ne peut exister de formes mixtes entre Etat et non-Etat ou bien d’étaticité partagée. [20] Au sein de cette classification se voulant stricte des formes d’organisation, l’Union supranationale est établie du côté des formes d’organisation relevant du droit international, et est donc conceptuellement non-étatique. Contrairement à l’Etat fédéral, elle se fonde sur la volonté continue de participation et de collaboration de ses membres. [21] Néanmoins, elle présente dès à présent des parallèles prononcés avec un Etat qui, en ce qui concerne l’Union supranationale particulière, s’accentueront au cours de son développement. Ce double caractère d’une forme d’organisation non-étatique mais semblable à un Etat a des conséquences dans de nombreuses constellations juridiques et de théorie générale de l’Etat. [22]

19.   L’Union supranationale s’est développée en tant que forme d’organisation spécifique pour le passage de l’Etat national à l’Etat-civilisation [Kulturkreis-Staat], qui unira en son sein différentes nations et cultures nationales faisant toutes parties d’une même civilisation (occidentale, orientale-islamique etc.). [23] Elle est objectivement établie en vue de réunir, dans le cadre d’un processus d’intégration, les Etats nationaux durablement débordés par la mondialisation et par la géo-régionalisation en un «Etat-fusion» fédéral [Vereinigungs-Bundesstaat], probablement un Etat-civilisation et non un nouvel Etat national. Cependant, sa détermination objective ne signifie pas qu’elle ne puisse échouer. Seulement, du fait de sa dynamique, une stagnation durable et continue semble exclue. [24]

20.   A côté de l’exécution de missions de fond, le rôle de l’Union supranationale consiste en la réunion progressive et prudente des Etats membres, et ultérieurement en la préparation minutieuse, éclairée et prenant alors appui sur l’expérience de la création même d’un Etat. [25] L’Union particulière ne peut que préparer cette dernière étape et ne peut en tant que telle lui survivre. L’étatisation elle-même présuppose une déclaration internationale de volonté de la part de chacun des Etats participants sur le transfert de la qualité d’Etat souverain. [26] Une transition conforme à l’Etat de droit nécessitera par ailleurs auparavant un nouvel acte constituant dans la plupart des Etats membres. Les organes d’une Union supranationale orientée vers l’Etat de droit, telle que l’Union européenne, devront le cas échéant s’opposer aux tentatives au sein des Etats membres de se placer au-dessus du droit constitutionnel en vigueur. Rien que pour cela, un «glissement» vers un Etat fédéral européen n’est pas à craindre. [27]

21.   C. (I.–V.) La position de l’Etat dans l’Union supranationale se laisse pour l’essentiel circonscrire par deux affirmations centrales. Selon la première, l’Etat a des devoirs fondamentaux liés à sa qualité d’Etat membre, résultant nécessairement et de façon directe de sa participation à une communauté politique étroitement associée et orientée vers un avenir commun. Leur existence doit être dégagée par la jurisprudence et la doctrine, pour peu qu’ils n’aient pas été réglementés expressément, clairement ou complètement dans le traité constitutif. Il est possible que certains ne soient réglementés que de façon abstraite à partir d’un principe de fidélité fédérale au sein de l’Union [Unionstreue] (cf. dans l’UE l’article 10 CE, 192 CEEA, 86 CECA). Les devoirs fondamentaux en qualité d’Etats membres comprennent en particulier le devoir de respect du droit primaire et secondaire de l’Union, de coopération avec les organes de l’Union et avec les autres Etats membres, de collaboration dans les organes de l’Union ainsi que de loyauté et solidarité envers l’Union et les autres Etats membres. [28]

22.   Selon la deuxième affirmation centrale, la souveraineté étatique demeure non-affectée jusqu’à la transformation éventuelle de l’Union en un Etat-fusion géo-régional. Elle ne peut en effet, étant quelque chose d’absolu et, en tant qu’attribut affirmé par le droit international public étant liée de manière indivisible à la qualité d’Etat souverain, être transférée que dans sa totalité, à savoir en même temps que celle-ci. A cette fin, la déclaration internationale de volonté quant au transfert de la qualité d’Etat précédemment mentionnée est également nécessaire, par laquelle l’Etat membre cesse d’être un Etat et l’organisation d’intégration perd sa qualité d’Union supranationale. La non-affectation de la souveraineté de l’Etat s’explique en tant que conséquence nécessaire de la rencontre de deux facteurs, à savoir d’un côté l’attachement du droit international public dans ses fondements au concept de l’Etat territorial exclusivement souverain, de l’autre la non-étaticité conceptuelle de l’Union supranationale en tant que forme d’organisation de la transition. [29]

23.   En vertu de sa souveraineté non-affectée, l’Etat conserve, en dépit de tous les «transferts» de droits de souveraineté, une puissance publique illimitée. Il ne perd pas le contrôle sur toute puissance publique influant sur son territoire. [30] En tant qu’entité responsable «naturelle» du droit international public, ce contrôle ne peut lui échapper. C’est pourquoi il ne s’agit, lors de l’attribution à l’Union de droits de souveraineté, ni d’un transfert, ni d’une limitation de droits de souveraineté étatiques au sens réel. Déjà en théorie, un tel procédé serait inimaginable sans remettre en cause le concept de souveraineté, qui sert à la garantie de l’autodétermination des peuples, organisée d’après le principe de l’Etat territorial, et par là-même purement et simplement les fondements du droit international. L’Etat membre n’a certes pas le droit mais bien le pouvoir juridique [Rechtsmacht], sans égard pour le traité constitutif, de reprendre toute la puissance publique à son compte ou bien de la répartir de nouveau. Les actes souverains qu’il entreprend en violation du traité sont valables juridiquement; les actes de puissance publique de l’Union auxquels l’Etat en violation du traité dénie tout effet interne, perdent sur son territoire leur force obligatoire. [31]

24.   En vertu de sa souveraineté non-affectée, l’Etat conserve en outre la capacité juridique illimitée à agir sur le plan international, et cela même dans les domaines revenant d’après le traité constitutif à une politique extérieure et de sécurité commune ou communautarisée. Ainsi, même dans l’intégration, il demeure intéressant pour des Etats tiers en tant que partenaire individuel (au moins potentiel). [32] Par ailleurs, il conserve la capacité juridique illimitée d’auto-organisation ce qui, traduit dans le monde des concepts traditionnels de la théorie constitutionnelle, signifie que le pouvoir constituant est, même dans un Etat intégré, illimité. Le droit constitutionnel contraire au droit de l’Union est valable juridiquement et peut être juridiquement valablement transposé. Il doit certes être interprété autant que possible en conformité avec le droit de l’Union et peut, lors de son application, être supplanté par le droit de l’Union contraire. Il ne peut cependant pas y avoir de primauté définitive (absolue) du droit de l’Union dans l’Union supranationale non-étatique et ses membres étatiques (souverains), ce même en cas de conflit extrême. Elle ne peut non plus être valablement convenue dans le traité constitutif. [33]

25.   Même dans l’intégration, l’Etat demeure porteur de la responsabilité définitive [Letztverantwortung]. [34] De même que tout autre Etat, il doit donner à ses citoyens la certitude qu’à travers à lui il sera veillé de façon générale à la liberté, la sécurité et à l’aide en cas de détresse. Cette exigence de la théorie générale de l’Etat faite à l’Etat constitue le revers de sa souveraineté. Pour l’Etat intégré, la prise en charge de la responsabilité définitive se limite certes toujours davantage à cela qu’il ne vient plus à bout de certaines missions de son propre fait, mais les délègue à l’Union ainsi qu’à d’autres institutions internationales, pour se concentrer désormais sur la participation au sein de leurs organes. Un reste substantiel de responsabilité définitive effective réside cependant dans la décision sur la manière et l’intensité avec laquelle il s’intègre au sein de structures internationales et supranationales et avec qui le cas échéant il s’associe au sein d’une Union supranationale. Il doit pouvoir répondre de cette décision à tout moment devant ses ressortissants, non seulement pour les phases achevées de l’intégration, mais aussi pour les phases manquées ainsi que les éventuelles lacunes s’y rapportant lors de la venue à bout des défis de la mondialisation et de la géo-régionalisation. C’est pourquoi la responsabilité définitive de l’Etat peut aussi se manifester par le retrait de ce dernier d’une Union supranationale afin de s’intégrer dans une autre de laquelle il attend une meilleure évolution, ou bien par le fait qu’il en fonde une nouvelle avec d’autres Etats, le cas échéant avec certains de ses anciens partenaires d’intégration. L’optique répandue en Europe selon laquelle il ne peut y avoir qu’une seule Union européenne à laquelle tous les Etats européens devraient à terme participer et que l’Etat particulier en dernière analyse devrait accepter comme telle sans autre alternative, ne prend pas en considération cet aspect important de la responsabilité définitive. [35]

26.   Du point de vue de la théorie générale de l’Etat, l’Etat membre a un droit à la codécision lors des modifications fondamentales de l’Union. Pour les modifications importantes du traité constitutif ou pour l’admission de nouveaux Etats membres, on devrait par conséquent s’en tenir à l’exigence de l’approbation par tous les Etats membres, même si le droit des traités internationaux autorise d’autres solutions. [36] Du point de vue de la théorie générale de l’Etat, l’Union devrait en outre être construite d’après le principe d’égalité lié à la qualité d’Etat membre [Grundsatz der mitgliedschaftlichen Gleichheit], visant à une égalité substantielle (matérielle), et reflétant la reconnaissance mutuelle des Etats membres en tant que partenaires d’intégration de même valeur. L’exigence d’un droit de veto pour les grands Etats membres ou cotisants net est par conséquent à écarter. Néanmoins, une représentation inégale ou bien une pondération des voix au sein des organes se justifie du point de vue de l’égalité des citoyens de l’Union. [37]

27.   (VI.) Le retrait et l’exclusion appartiennent aux problèmes les plus délicats posés par l’intégration au sein de l’Union supranationale. Traiter de cela signifie admettre que le processus d’intégration selon toute probabilité n’entraînera pas que l’expérience agréable du rapprochement, mais aussi des déceptions et des querelles. Dans une perspective de théorie générale de l’Etat, des solutions permettant une séparation sans heurts et qui ne soit pas problématique juridiquement s’imposent. Rien que d’après le concept du volontarisme ininterrompu de l’intégration, le retrait d’un Etat doit être possible, mais aussi en ce qu’une intégration durable suppose une décision tenace de tous les Etats participants, sans cesse renouvelée ou confirmée au sein d’un processus politique libre et ininterrompu. Par ailleurs, la prise en charge de la responsabilité définitive suppose l’option du retrait. En outre, un Etat membre souhaitant le retrait ne se laisse pas retenir dans les faits car il peut, fort du pouvoir juridique découlant de sa souveraineté, créer une situation où la condition de membre n’est plus sensible à l’intérieur de l’Etat. - En tant que moyen extrême, l’exclusion doit être possible afin d’empêcher que l’Union, à raison de violations graves du droit de la part des Etats membres, ne perde sa crédibilité en tant que communauté de droit ou bien son efficacité et avec elle sa légitimité. Par ailleurs, la communauté intégrative doit pouvoir réagir lorsque l’un des partenaires se détourne des valeurs fondamentales et idées directrices communes. L’exclusion en tant qu’instrument de sanction est le corrélaire nécessaire de la non-atteinte à la souveraineté de l’Etat. [38]

28.   Non problématique d’un point de vue dogmatique, la solution d’une convention de retrait, supposant un accord de toutes les Parties, est à peine praticable. Par conséquent, le retrait et l’exclusion devraient, avec leurs modalités (délai, forme, procédure, fondement politique, garanties juridiques), être réglementés dans le traité constitutif. Le droit de retrait devrait être expressément garanti et la compétence d’exclusion limitée aux deux motifs d’exclusion que sont la violation grave répétée ou continue du traité et la méconnaissance des valeurs communes. [39]

29.   Les traités constitutifs de l’Union européenne ne règlent pas ces problèmes. Leur validité «pour une durée illimitée» (article 51 TUE, 312 CE, 208 CEEA) est à comprendre au sens de «durée indéterminée» et non «pour l’éternité». Il ne peut être déduit de leur silence que les Parties au traité aient voulu exclure la sortie ultérieure d’Etats membres. Les conditions se règlent sur le droit commun des traités internationaux, qui trouve ici application malgré sa subsidiarité, aucune affirmation juridique n’étant à extraire des traités constitutifs. Du point de vue de la technique juridique, le retrait se présente comme une dénonciation du traité constitutif. La possibilité de l’exclusion ne peut être réalisée qu’en tant que droit d’exclusion des autres Etats membres par dénonciation du traité vis à vis de l’Etat à exclure. Une compétence d’exclusion de l’Union n’existe pas. Il faudrait pour cela une réglementation conventionnelle. [40]

30.   Il y a dans le droit des traités internationaux plusieurs fondements possibles au retrait. Dans l’Union supranationale, un droit de retrait pour violation substantielle du traité par d’autres Parties (art. 60 al. 2 litt. a de la Convention de Vienne sur le droit des traités) ne saurait être d’actualité, l’Etat membre étant renvoyé aux instruments juridiques prévus dans le traité constitutif (cf. art. 60 al. 4 de la Convention de Vienne ainsi que pour l’UE l’art. 292 CE, 193 CEEA, 87 CECA). Il peut cependant entrer en considération après épuisement infructueux de cet instrument en cas de violations graves et consensuelles du traité par les autres Etats membres et les organes de l’Union, par exemple dans le cas où l’autorisation refusée de nouvelles compétences serait «compensée» par les organes de l’Union, avec l’approbation des autres Etats membres, par une interprétation manifestement arbitraire et «permissive» des règles de compétences. Un droit de retrait fondé sur la clause rebus sic stantibus (art. 62 de la Convention de Vienne) échouera régulièrement du fait que l’Union a précisément été créée dans le but de faire face communément à des développements inattendus, comme par exemple des crises économiques. Il peut cependant résulter de modifications imprévues du nombre des Etats membres de l’Union ou bien de l’absence de modification pourtant prévue du nombre d’Etats membres, par exemple lorsqu’un autre Etat particulièrement proche quitte l’Union ou bien n’est pas admis, en dépit de l’objectif antérieur. En principe, le recours à ces motifs exceptionnels n’est toutefois pas nécessaire, car si le traité constitutif ne délimite pas de manière positive le retrait, le libre droit de retrait est déduit dans l’Union supranationale de la nature du traité en tant que traité d’intégration (art. 56 al. 1 litt. b Convention de Vienne). Le but du traité d’intégration n’est pas de garantir à tout prix et de façon limitée le niveau atteint d’intégration, mais l’intégration durable et efficace, et pour cela la participation volontaire à chaque phase de l’intégration est une condition indispensable. [41]

31.   L’exclusion d’un Etat membre n’entre en considération qu’en tant que moyen ultime. D’après le droit des traités internationaux, elle est licite en vertu de la clause rebus sic stantibus (art. 62 de la Convention de Vienne), ainsi qu’en cas de violation substantielle du traité (art. 60 al. 2 litt. a Convention de Vienne). Le seul cas manifeste d’application de la clause rebus sic stantibus est la méconnaissance des valeurs communes lorsque ces dernières ne sont pas, comme c’est le cas aujourd’hui dans l’Union européenne (cf. l’art. 6 al. 1er TUE), réglées conventionnellement et que par conséquent l’art. 60 al. 2 litt.°a de la Convention de Vienne est applicable. Celui qui institue une dictature au sein d’une Union supranationale libérale et démocratique doit donc compter aussi avec l’exclusion en dernier lieu.

32.   L’exclusion pour violation substantielle du traité suppose une violation grave mais pas nécessairement la plus grave du traité («material breach», et non «fundamental breach»). Elle est admise essentiellement  lorsqu’un Etat membre ne remplit pas ou manifestement insuffisamment ses obligations fondamentales en bloquant par exemple le travail des organes de l’Union par un chantage à long terme,  lorsqu’il cause des dommages importants en matière de politique extérieure par des actions allant à l’encontre de la politique extérieure et de sécurité commune  ou bien lorsqu’il ne transpose pas, n’applique pas ou ne réalise pas de manière effective d’importants secteurs du droit de l’Union sur son territoire étatique. En tant qu’avant-dernier moyen juridique bien que déjà extracontractuel, entre en considération avant la dénonciation la suspension du traité constitutif, autorisée dans les mêmes conditions par l’article 60 al. 2 litt.°a de la Convention de Vienne. [42]

33.   Un cas spécial est constitué par la non-transposition ou non-exécution persistante de certains actes secondaires de l’Union. Un Etat qui, malgré sa condamnation par la Cour de justice de l’Union, se refuse aux démarches internes nécessaires, se place résolument en dehors du traité constitutif et justifie des doutes a priori quant à sa détermination à l’exécution correcte de ses devoirs fondamentaux inhérents à sa qualité d’Etat membre. Par conséquent, même dans le cas d’une seule directive ou d’un seul règlement, la violation du traité est si grave qu’elle remplit sans plus les conditions de l’article 60 al. 2 de la Convention de Vienne. L’appréciation de la Cour de justice de l’Union étant pour lui obligatoire, l’Etat membre ne peut non plus faire valoir que la norme est illicite, car s’il passe outre, le mépris de la juridiction de l’Union ne pèse pas moins que le refus de transposition ou d’exécution du droit secondaire. En portant atteinte à l’autorité et à l’application uniforme du droit de l’Union, il touche un principe vital de l’Union supranationale. En dehors des cas dans lesquels, selon le droit constitutionnel national, les limites de ce qui peut être transféré sont dépassées, l’obligation de subordination vis à vis de la juridiction de l’Union ne prend fin que là où la décision est si manifestement et si gravement erronée qu’elle ne peut plus être classée que comme arbitraire. Cette obligation de subordination vaut sans distinction pour tous les organes des Etats membres. Si un tribunal étatique, par exemple une Cour constitutionnelle, s’arroge la décision définitive pour des questions de droit de l’Union, les autres organes étatiques doivent prévenir la menace d’une violation substantielle du traité en neutralisant la décision juridictionnelle usurpatrice par les mesures légales et, le cas échéant, constituantes appropriées. Les évolutions fâcheuses de la jurisprudence de l’Union sont à corriger par des améliorations clarificatives du traité constitutif et, le cas échéant, par l’insertion de directives restrictives guidant la jurisprudence ultérieure au sein du traité constitutif. [43]

34.   D. La puissance publique de l’Union supranationale ne diffère pas de celle d’une organisation supranationale traditionnelle. C’est une puissance publique avec un champ d’action géo-régional qui s’étend sur plusieurs Etats. C’est la même puissance publique qui est exercée par le même détenteur et dans les mêmes conditions sur l’ensemble du territoire de l’Union. Il s’agit par là nécessairement d’une puissance propre et autonome du détenteur supranational de la puissance publique, créée en complément aux puissances étatiques des Etats membres. Elle n’est soumise qu’aux conditions spécifiques émanant de son ordre juridique propre. Elle n’est pas supra-étatique au sens hiérarchique et elle est, contrairement à la puissance étatique, nécessairement limitée. Elle n’est pas autonome du point de vue de son existence, de ses dimensions et de son orientation fondamentale, mais dans son exercice concret, et cela même vis à vis des Etats membres qui ne peuvent la corriger que dans leur fonction en tant que «maîtres des traités», c’est-à-dire collectivement dans le cadre d’une procédure exigeante de modification des traités. En tant que puissance nouvelle et supplémentaire, elle n’est pas «dérivée» au sens propre; en tant que puissance créée par d’autres, elle n’est pas non plus proprement «originaire». - D’autres constructions sont concevables, mais ne tomberaient plus alors sous le concept de la supranationalité. [44]

35.   La puissance publique supranationale prend naissance en deux étapes. Lors de la première étape, celle de la création du détenteur supranational de la puissance publique, les Etats fondateurs agissent collectivement en tant que «maîtres des traités»; un Etat particulier ne peut ni fonder une puissance supranationale, ni la maintenir, ni la faire disparaître. La deuxième étape est une étape de droit interne, qu’à raison de sa nature les Etats fondateurs doivent accomplir individuellement. Sous l’autorité du droit international axé sur la souveraineté, l’origine de toute puissance publique réside dans la souveraineté de l’Etat, ce qui signifie qu’il ne peut y avoir de puissance publique qui ne soit pas attribuable à une déclaration de volonté de l’Etat. La création de la puissance publique supranationale nécessite par conséquent, outre l’institution de son détenteur supranational, l’ordre national conférant force obligatoire dans l’ordre interne [innerstaatliche Bindungsanordnung] dans au moins deux Etats membres. C’est un acte d’exécution du traité constitutif et un acte créateur d’une situation juridique. C’est cet acte qui procure aux mesures supranationales prétendant s’imposer avec force obligatoire la nature juridique d’un acte de puissance publique significatif au niveau interne. L’«ordre d’application du droit supranational» [«Rechtsanwendungsbefehl»] dont on parle souvent n’est, strictement parlant, qu’une disposition d’accompagnement devant assurer la prise en considération effective de la qualité de puissance publique des mesures supranationales. [45]

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[13]       2-A.I.

[14]       2-A.II.1.b.

[15]       2-A.II.1.a/c-e.

[16]       2-A.II. 2/3.

[17]       2-B.I/II.

[18]       2-B.III/IV.1.

[19]       2-B.III.1.b.

[20]       2-B.III.1.

[21]       2-B.III.2.b.

[22]       2-B.IV.3.

[23]       Sur le fait de ce développement 2-B.IV.2.

[24]       2-B.IV.4.a/b.

[25]       2-B.IV.4.c.

[26]       2-B.III.1.c.

[27]       2-B.III.2.c.

[28]       2-C.I.

[29]       2-C.II.

[30]       2-B.III.1.b.cc.

[31]       2-C.II.1; en outre 2-D.III.

[32]       2-C.II.2.

[33]       2-C.II.3.

[34]       Sur cette notion 1-A.I.3.d.

[35]       2-C.III.

[36]       2-C.IV.

[37]       2-C.V.

[38]       2-C.VI.1/2.a/3.a.

[39]       2-C.VI.2.b/3.b.

[40]       2-C.VI.2.b-c/3.b-c.

[41]       2-C.VI.2.c.aa-cc.

[42]       2-C.VI.3.c.aa/bb.

[43]       2-C.VI.3.c.cc.

[44]       2-D.

[45]       2-D.II.

 

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